13/12/2013

LETTRE OUVERTE AUX MINISTRES - DECEMBRE 2013


A l’attention de :  
Mmes Dominique Bertinotti, Christiane Taubira, 
Najat Vallaud-Belkacem, Marisol Touraine, 
Adeline Gouttenoire et M. Laurent Fabius. 


Objet : lettre ouverte pour demande de mesures concrètes sur l’adoption en 8 questions.


Mesdames et Monsieur les Ministres,  
et Madame la présidente de l'Observatoire départemental de la protection de l’enfance,   

Nous sommes un collectif de personnes adoptées adultes composé d’un large éventail d’expériences personnelles et professionnelles sur l’abandon et l’adoption en France comme à l’étranger. Des professionnels de l’adoption ont rejoint notre groupe de réflexion.   

Nous travaillons notamment sur les mécanismes de violences du système d’adoption français actuel dont les recherches seront rendues publiques lors du colloque sur l’identité biologique en automne 2014. Un livre publiera les résultats des enquêtes que nous avons menées.  

Nous visons un système plus éthique et mieux accompagné pour les personnes adoptées et leurs familles biologique et adoptive. Il est important de rappeler que l’adoption se joue autour d’une triade dont tous les acteurs doivent être pris en compte.   

Ainsi, nous voulons sortir des discours infantilisant, victimisant, pathologisant ou visant à nous censurer.  

Aujourd’hui, nous voulons interpeler votre groupe de travail sur ces 8 questions : 
(pour lire les propositions de réponses, cliquez directement sur l'une des questions ci-dessous qui pourraient vous intéresser.)










Je reste à votre disposition et vous prie d’agréer, Mesdames et Monsieur les Ministres et Madame la présidente de l'Observatoire départemental de la protection de l’enfance, mes salutations respectueuses.

Kharla Livingston Lorenzzo 
Porte-parole «Adoption: terrain miné» 

QUESTION #1 : En France, que met-on en place pour accompagner les adoptés à «besoins spécifiques» ?


«Ces troubles psychotraumatiques sont méconnus, sous-estimés, rarement dépistés 
et diagnostiqués par les professionnels de la santé qui n'ont pas été formés 
pendant leurs études médicales à la psychotraumatologie et à la victimologie, 
et qui ne le sont toujours pas. Ces troubles psychotraumatiques sont spécifiques 
et le symptôme principal: la mémoire traumatique (les réminiscences des violences) 
est pathognomonique c'est-à-dire non seulement caractéristique des violences traumatisantes 
mais aussi pouvant établir la preuve diagnostique d'un traumatisme. 
Or la prise en charge des troubles psychotraumatiques et de leurs conséquences 
est essentielle et doit être la plus précoce possible, ce qui la rend d'autant plus efficace, 
et permet d'éviter des vies fracassées et d'arrêter un cycle de violences subies ou agies.» 

Le simple fait d’adopter a-t-il le pouvoir de résoudre les traumatismes et deuils liés à l’abandon et au déracinement d’un enfant? Non. Surtout quand s’accumulent les bouleversements: de référents affectifs, de deuils multiples, de changement de nom et prénom, de maison, de pays, de culture, de langue maternelle, de climat, de couleur de peau, de nourriture... Les «besoins spécifiques» ne viennent pas «naturellement» de la personne adoptée; ils sont la conséquence normale de chocs et de d’arrachements imposés. Les conséquences de cette mémoire traumatique non prise en charge? Des adoptés se suicident, d’autres se retrouvent en hôpital psychiatrique, en prison ou à la rue («30% des SDF sont d’anciens enfants placés», selon l’Académie de Médecine). Quand le gouvernement va-t-il pouvoir mettre en place un accès gratuit à un accompagnement adapté par des professionnels formés en traumatologie? Cet accès devrait aussi être proposé aux adoptants et aux parents biologiques qui en ont besoin. 

QUESTION #2 : Pourquoi les droits des parents adoptants ont-ils priorité sur les droits des enfants?


 «L'adopté acquiert une nouvelle filiation qui remplace sa filiation d'origine. 
Un nouvel acte de naissance est établi et l’acte de naissance d’origine est annulé
 et ne peut plus être communiqué.  (...) Il prend le nom du ou des adoptants 
qui remplace son nom initial.  Il est possible de demander au juge
un changement de prénom de l'adopté. L'adoption plénière est irrévocable.» 
  
«Marie, d’origine indienne, raconte qu’en France on la prend toujours pour 
la bonne de la famille blanche qui l’a adoptée. En Inde, tandis qu’elle se promène 
avec sa famille adoptive blanche, les Indiens la voient comme une prostituée et l’insultent. 
Son retour au pays est interdit car elle n’a pas de papiers étant donné que son adoption est plénière. Elle se sent étrangère autant en France (suspectée continuellement par la police d’avoir volé ses papiers d’identité) qu’en Inde (où elle est rejetée car elle n’a pas les bons papiers et où on l’interroge par rapport à son nom de famille français qui paraît « louche » à chaque passage de frontière ou contrôle de police). On ne lui reconnaît ni le droit d’être française, ni le droit d’être indienne. L’adoption plénière a rendu compliqué son intégration.» 
Témoignage pour «Adoption: terrain miné».  

L’adoption plénière est une spécificité française imposée dans le cadre d’adoption internationale. Cette fiction française voudrait nous faire croire que la filiation sociale peut effacer la réalité de la naissance et des origines biologiques. Elle entraîne: suppression, effacement et interdiction d’accès à notre propre identité biologique, suppression de notre nationalité d’origine, suppression de nos noms et prénoms d’origine, suppression de notre filiation d’origine. Ce système permet aux adoptants de signaler ou non son adoption à la personne concernée. Des personnes découvrent sur le tard qu’elles ont été adoptées. La France a déjà été pointée du doigt car elle ne respecte ni la Convention européenne des droits de l’Homme, ni les droits internationaux de l’enfant, ni la Convention de la Haye. Pourquoi le système français maintient-il cet obscurantisme? Cette mise en scène mensongère nous vole notre identité biologique. Comment se projeter dans le futur sans savoir d’où l’on vient? Sur quelle base pouvons-nous compter? Nous voulons une procédure légale et rapide pour pouvoir choisir nos noms et prénoms sur nos cartes d’identité: ceux de notre famille d’origine dont nous avons été dépossédés ou le choix de nouveaux nom et prénoms si nous voulons tirer un trait sur ces expériences pénibles. Enfin, en plus de la nationalité française, nous voulons récupérer notre nationalité d’origine qui nous a été confisquée. 

QUESTION #3 : Pourquoi la France s’oppose-t-elle au droit à l’identité biologique?


Connaître ses origines biologiques est un droit universel. Pourtant la France le nie à certains de ses citoyens: les nés sous X, des adoptés et les personnes issues de banque de gamètes anonymes. L’accès à nos dossiers doit être gratuit et transparent, sans limitation d’âge (pour les mineurs) avec la possibilité d’un accompagnement gratuit par un professionnel formé pour les personnes qui en ressentent le besoin. Cet accompagnement n’a pas une fonction de contrôle mais de soutien à la personne dans ces démarches souvent éprouvantes. Une fois l’une des personnes de la famille biologique retrouvée, le professionnel formé pourrait se proposer comme intermédiaire pour aider à mieux appréhender la situation et ainsi faciliter les premiers échanges. Tous les dossiers de personnes adoptées et nées sous X devraient être regroupés dans un même bureau (loin des «flammes» et avec enquête judiciaire lors des «incendies»). L’accès gratuit aux dossiers médicaux de nos parents biologiques nous permettra de bénéficier de soins adéquats. L’accès gratuit aux dossiers judiciaires de nos parents biologiques permettra d’éviter toute rencontre à risque (exemple de cas ici).

QUESTION #4 : Pourquoi des femmes sont-elles forcées d’abandonner leur bébé?


"Je recherche mon fils depuis 1967, date à laquelle il est né, 
déclaré sous X, à la suite d'un viol commis sur moi 
par deux ignobles individus. J'avais 16 ans et demi à l'époque."
  
"Fréquentant un jeune homme, je me suis retrouvée enceinte. 
D'origine algérienne, ceci était inconcevable dans mon entourage familial. 
Ma mère et ma sœur m'ont obligée à accoucher "sous X", sans me laisser 
le temps de réfléchir. Il ne fallait absolument pas que mon père apprenne 
la situation, parce qu'on me disait qu'il m'aurait tué ainsi que l'enfant."
  
"J'ai donné naissance le 19 avril 1999 à enfant que j'ai dû abandonner 
car mon ami de l'époque, étranger lui aussi comme moi, m'y a forcé, 
sous la menace, j'avais trop peur de lui, ma situation était très dure 
sans papier, ni logement, ni travail, ni argent, j'avais 17 ans alors. 
Je ne sais plus sous quel terme j'ai abandonné mon enfant, 
ces mots me font mal dans mon ventre dans mon cœur et dans ma tête, 
mon bébé, mon petit, j'ai si souvent pleuré pour toi."  
Extraits: blog «Les mères de l’ombre» 
http://amo33.free.fr/accueil.htm  

«Parmi les femmes qui ont abandonné leur enfant, moins de 1% l’a fait volontairement.» (Adam Pertman) Qui sont ces femmes? Certaines ont vécu des situations de viols et d'agressions (lien chiffres France). Elles ont manqué de soutien puisqu’elles ont été obligées d’abandonner. On s’inquiète des conséquences du syndrome d'alcoolisation fœtale mais pourquoi aucune étude ne remonte jamais plus en amont? Comment arrive-t-on à une grossesse forcée et à un abandon? Le système juridique est-il efficace à l’égard des violeurs? A qui profite la vulnérabilité et la précarité de ces femmes? Comment le système français accompagne-t-il ces femmes qui ne veulent pas abandonner? Et un accompagnement en pré et post-abandon pour les rares qui veulent délibérément abandonner leur bébé? En dehors d’un cadre de violence (avec enquête pour savoir s’il y a eu viol ou violences sexuelles), une forme de subsidiarité est-elle envisageable, au cas où le géniteur voudrait lui-même s’occuper de son enfant biologique? Enfin pour les mères qui refusent d’abandonner: grâce à un test ADN rapide, la paternité devrait être confirmée, impliquant le versement d’une pension de survie pour l’enfant de la part des pères biologiques ayant tenté de refuser leur paternité. 

QUESTION #5 : Vols de bébés : le système français est-il complice?


«Une peine d'au moins deux ans, mais qui ne pourra pas dépasser trois ans, 
sans retour en prison, a été requise en appel à l'encontre des principaux responsables
 de L'Arche de Zoé, Eric Breteau et Emilie Lelouch, qui avaient tenté en 2007 
d'exfiltrer du Tchad 103 enfants censés être des orphelins du Darfour. (...) 
Condamnés en première instance à trois ans de prison, dont deux ferme, 
et 50.000€ d'amende, Eric Breteau et sa compagne Emilie Lelouch comparaissent 
pour escroquerie, exercice illicite de l'activité d'intermédiaire à l'adoption 
et tentative d'aide à l'entrée ou au séjour de mineurs en situation irrégulière.» 
Le Parisien (29/11/2013).
  
«... des membres de cette association s'apprêtaient à embarquer, avec 103 enfants 
affublés de faux pansements, dans un avion spécialement affrété à destination 
de la France. (...) L’association disait vouloir sauver des orphelins du Darfour. 
Mais selon plusieurs ONG, ces enfants étaient tchadiens pour la plupart et avaient 
au moins un parent en vie. (...) Eux accusent le ministère des Affaires étrangères
 d'avoir été au courant de l'opération, de ne pas s'y être opposé avant de faire
 machine arrière pour des raisons diplomatiques. (...) Pour Simon Miravete, 
l'avocat d'Alain Péligat, il sera «intéressant, d'un point de vue intellectuel, 
de savoir si cette opération était légale ou non». 
Le Figaro (20/11/2013)
«C’est là qu’elle apprendra qu’elle a été achetée, "près de mille francs pour l’époque, 
c’est beaucoup". Là aussi que sa mère lui révèle qu’un médecin français 
lui a écrit un faux certificat de grossesse avant qu’elle monte dans l’avion. (...) 
D’après un rapport de la police fédérale datant de 1992, quelques 
3000 bébés brésiliens auraient ainsi été acheminés illégalement (...) 
aux États-Unis, au Canada, en Allemagne, en France et en Italie. » 
Le Monde (8/1/2013) 

«Ils m’ont déclarée comme leur fille biologique. Sur mes papiers d’identité, 
les dates et lieux de naissance sont faux. A cause de cela, je ne peux pas avoir 
accès aux archives des cliniques pour retrouver la vérité. Je veux 
obtenir le droit de changer mes papiers d’identité parce qu’ils n’énoncent 
qu’une suite de mensonges. Le droit français ne me protège pas.» 
K.L.L.  

Des personnes profitent de la situation de précarité de femmes enceintes vulnérables pour s’approprier leur bébé et le placer en «adoption», avec transfert d’argent. D’autres se permettent de déclarer comme leur enfant biologique un enfant né d’une autre famille biologique. D’autres encore font croire que des enfants placés en crèches sont «orphelins» pour pouvoir prétendre les «sauver». Kidnapper et séquestrer un enfant est un crime. Ce crime doit être puni. Quel chef d’accusation figure clairement dans le droit français pour protéger les enfants de ces expropriateurs qui prétendent «adopter» ? Pourquoi un tel vide juridique? Pour défendre qui?  

QUESTION #6 : Que fait-on en 2014 pour les 150.000 enfants placés à l’ASE?


En matière d’adoption internationale, «les sources se tarissent». En effet, de moins en moins d’enfants sont abandonnés, ce qui est une bonne nouvelle. En revanche, la France est confrontée à un autre problème : des français délaissés ont besoin d’une famille d’accueil à court ou moyen terme. «Sur 150.000 enfants placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE), seuls 2 345 bénéficient du statut du pupille de l’Etat et peuvent donc être -en théorie- adoptés.» (Libération, 24/11/2013). Comment le gouvernement appréhende-t-il cette urgence? Comment soigner les traumatismes laissés par la maltraitance? Comment rester vigilant quant aux individus pervers se proposant comme famille d’accueil? Envisager la parentalité d’addition replace-t-elle assez au centre les besoins de l’enfant? Comment soutenir les adultes au service de l’enfant? Comment permettre une interaction positive entre famille biologique et famille d’accueil? Comment soutenir les parents biologiques en difficulté? La France protège-t-elle les enfants issus de familles recomposées, y compris chez les couples de personnes de même sexe, d’un éventuel abandon en cas de décès du parent biologique?